Deux nouvelles espèces d’ Aloe L. (Xanthorrhoeaceae, Asphodelaceae), section Lomatophyllum Rowley, de Madagascar
Author
Jean-Philippe Castillon
text
Adansonia
2017
2017-06-30
39
1
7
13
journal article
10.5252/a2017n1a1
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1639-4798
1095574
Aloe maningoryensis
J.-P. Castillon
, sp. nov.
(
Fig. 1
)
Haec planta
A. occidentale
affinis est sed, nominatis characteribus, praecipue distinguitur: habitu, arcuatioribus et ad basim latioribus foliis, floribus minoribus et prope primos propagines sunt.
TYPUS
. —
Madagascar
.
District d’Ambatondrazaka
,
berges du fleuve Maningory, près du lac Alaotra, dans des lambeaux de forêt
,
17°24’S
,
48°43’E
,
800 m
,
J.-B Castillon
59
(
holo-
,
TAN
).
ÉTYMOLOGIE
. — La plante pousse près de la rivière Maningory.
DESCRIPTION
Plante
De grande taille, parfois acaule, elle atteint alors
80 cm
de hauteur, parfois développant une tige courte et épaisse 50 cm-
1 m
de long ×
5-6 cm
de diamètre, d’abord couchée puis redressée, sans feuilles sèches persistantes (Fig 1B). Elle ne rejette pas mais peut vivre en peuplements denses du fait de son mode de reproduction (par bulbilles et graines qui tombent et germent sur place) (Fig. 1C). Rosette de 20-30 feuilles, atteignant
2 m
de large.
Feuilles
Vert vif, parfois rougeâtres au soleil (Fig. 1A, B), unies, la face inférieure légèrement plus claire, lisses, dressées-arquées, canaliculées, 60-110 ×
5-8 cm
, sans rétrécissement à la base, se terminant en pointe aiguë.
Épines
5 ×
4 mm
, assez régulièrement réparties, espacées de
6-13 mm
, de même couleur que la feuille mais à bord blanc cartilagineux-corné, piquantes sans être blessantes, présentes sur toute la longueur de la feuille sauf sur les 5-7 derniers cm.
Suc
Jaune-vert sur le frais, peu abondant, peu amer.
Inflorescences
En moyenne 1 à 2, jusqu’à 3 par rosette, courbée, de longueur atteignant
50 cm
. 1 à 3 ramifications, partant du même point, un peu au-dessus du milieu du pédoncule. Pédoncule et racèmes dressés mais parfois courbés sous leur poids (Fig. 1D). Pédoncule vert-rouge,
14 mm
de largeur ×
4 mm
d’épaisseur à la base, la première ramification est à environ
30 cm
; présence occasionnelle d’une bulbille.
Bractées stériles
Une première
3 cm
avant la ramification du pédoncule et 4 autres après la ramification, 4 ×
3 mm
, blanc scarieux avec une nervure centrale épaisse noire.
Racème
Cylindro-conique, de
20 cm
environ, les racèmes latéraux légèrement plus courts (
18 cm
), de
6 cm
de largeur, assez denses (environ 20 fleurs pour
5 cm
); jeunes boutons dressés, puis horizontaux, fleurs ouvertes pendantes.
Fleur (
Fig. 1
E)
Bractée
triangulaire acuminée, 3 ×
3 mm
, blanc scarieux avec une nervure noire.
Pédicelle
11 ×
1 mm
, rouge, avec un bourrelet à la base du périanthe.
Périanthe
Clavé arqué, rouge-rose à extrémité blanc-vert, de
30 mm
de long, de
7 mm
de large au niveau de l’ovaire, puis rétréci (
5 mm
) enfin clavé (
8 mm
) et ouvert à l’extrémité (
10 mm
).
Segments
Soudés sur les 3/4 du périanthe, à extrémités légèrement récurvées.
Filaments
Blancs ou d’un vert très pâle, courbés de 30° environ après l’ovaire, légèrement exserts (
2-3 mm
).
FIG. 1. —
Aloe
maningoryensis
J.-P. Castillon, sp. nov.:
A
, plante exposée au soleil;
B
, port général, avec sa tige sans feuilles persistantes;
C
, un gros plant acaule produit une bulbille qui, à peine enracinée, produit elle-même une autre bulbille;
D
, plante en culture;
E
, détail des fleurs.
Style
Jaune paille, inclus puis exsert de
4 mm
.
Ovaire
4 ×
3 mm
, en forme d’obus, jaune-marron.
Fruit
Baie sphérique de
20 mm
, verte puis jaune.
Graines
Noires, 7 ×
5 mm
, avec des arêtes et des petites ailettes (0,5 mm).
DISCUSSION
Cette nouvelle espèce est très proche de
A. occidentalis
(H. Perrier) Newton & Rowley, elle s’en distingue essentiellement par son port, ses tiges dépourvues de feuilles sèches, ses feuilles plus nombreuses, plus arquées, plus larges à la base et ne présentant pas le rétrécissement caractéristique de
A. occidentalis
, moins grasses, et armées de piquants bien plus gros, plus nombreux et plus réguliers. Les fleurs sont très semblables à celles de
A. occidentalis
, mais légèrement plus petites et moins colorées.
A. maningoryensis
est ainsi indiscutablement à classer dans le groupe de
A. occidentalis
(avec
A. mayottensis
Berger et
A. megalocarpa
Lavranos) mais il a certains traits qui le rapprochent aussi de
A. orientalis
(H. Perrier) Newton & Rowley (ses larges feuilles arquées). Cette espèce est donc particulièrement intéressante car le fait de trouver à l’intérieur des terres un
Lomatophyllum
à la morphologie intermédiaire entre ceux des côtes est et ouest montre le lien existant entre tous ces taxons et est un argument fort en faveur de la monophylie de la section
Lomatophyllum
. Les bulbilles sont un caractère important de l’espèce. En effet, c’est un caractère que l’on ne retrouve que chez des
Aloe
de forêts humides: chez des
Lomatophyllum
:
A. propagulifera
(Rauh) Newton & Rowley (Ambohitantely) et
A. schilliana
Newton & Rowley (Manongarivo), et chez des
Aloe
à capsules:
A. rodolphei
J.-B. Castillon (Andapa, Marojejy),
A. leandrii
Bosser (Andasibe) et
A. bulbillifera
Perrier (Manongarivo). Ces bulbilles permettent une colonisation rapide de l’espace, même en l’absence de fruits et les plantes qui en produisent vivent toujours en touffes denses. Il est peu probable que des espèces aussi diverses présentant ce caractère l’aient toutes acquis de manière indépendante; il est plus logique de penser qu’il s’agisse plutôt d’une aptitude ancestrale, peut-être présente mais inactive chez de nombreux autres
Aloe
, et qu’un habitat prolongé en forêts humides permet d’exprimer. Ceci dit, d’autres espèces de forêts humides ne présentent pas ce caractère (
A. rosea
(Perrier) Newton & Rowley,
A. aurelienii
J.-B Castillon,
A. martialii
J.-B. Castillon ou
A. ivakoanyensis
Letsara, Rakotoarisoa & Almeda par exemple pour les
Lomatophyllum
,
A. ifanadianae
J.-B. Castillon ou
A. capitata
var.
silvicola
Perrier
pour les
Aloe
à capsules), ce qui montre que la «réactivation» du caractère n’est pas automatique; des
Aloe
de zones sèches, même cultivés en environnement humide, ne produiront pas de bulbilles tandis que nos
Aloe
à bulbilles continueront à en produire, même sur des plants issus de graines et cultivés au soleil. La production de bulbilles doit donc être considérée comme un critère important et à lui seul suffisant pour caractériser une espèce.
STATUT
DE CONSERVATION
Cette plante pousse dans un lambeau de forêt, très dégradé, d’environ
2000 m
², où son unique population occupe une surface de quelques centaines de m² pour quelques dizaines d’individus. Vu la pression humaine sur cette région, je doute que cette petite forêt subsiste encore longtemps et cette petite population est vouée à disparaitre dans un avenir très proche. Il est à espérer que cette plante se retrouve plus en aval de la rivière, ou ailleurs dans une zone protégée, car toute la région du haut Maningory n’abrite quasiment plus aucune forêt primaire. La plante semble n’être connue localement que de quelques gens qui arpentent fréquemment la forêt, en particulier les producteurs de charbon de bois, qui m’ont parlé d’une autre station à quelques heures de marche. En l’absence d’autres informations sur la distribution de cette plante, un statut vulnérable (VU) me semble approprié.